J’étais récemment invitée par les Mardi du Le Grand Continent pour participer à un débat à Normale Sup à Paris au sujet d’une question centrale : « Comment faire de l’UE un levier de transformation écologique et sociale ? ». Cette question provient d’un article du Grand Continent cosigné par 12 personnalités de la gauche européenne qui proposent une voie politique pour la transformation écologique et sociale de l’Europe. Je fus donc invitée à commenter et à discuter cet article avec certains de ses signataires présent.e.s ce soir là.
J’ai apporté le point de vue d’une députée qui provient d’une région où les défis de la transition écologique et sociale sont immenses, mais aussi d’une co-présidente régionale de parti qui chaque jour constate les progrès qui sont réalisés grâce à nos mandataires dans les exécutifs. Le retour de la rigueur budgétaire européenne impacterait frontalement notre capacité d’action pour faire face aux défis engagés par le dérèglement climatique, pour respecter nos engagements de réduction de nos émissions de gaz à effets de serre, et pour protéger les bruxellois des conséquences physiques et financières de ce bouleversement.
Le principal verrou subsiste encore aujourd’hui dans les règles de Maastricht. Révélées inefficaces au cours des crises que nous avons vécues et suspendues à ce titre, la Commission entend pourtant les réhabiliter prochainement.
Certes le vernis a changé, permettant quelques largeurs, mais la doctrine reste la même : couper dans les dépenses, et réduire encore et toujours la dette.
Dans sa proposition de réforme des règles budgétaires, la Commission européenne ne déroge pas à ses indicateurs clés : imposer des plafonds de dette (60%) et de déficit (3%) uniques pour tous les pays. La seule différence est que les États auront cette fois 4 ans (et non 1 an) pour y arriver. Sur le fond ça ne change rien et ces objectifs restent détachés de toute réalité économique (même l’Allemagne ne sera plus en mesure de respecter le plafond des 60%).
Assumons haut et fort qu’il est nécessaire de s’endetter pour mener à bien la transition climatique. Ce n’est pas une lubie des écologistes. C’est plus que jamais une nécessité, et c’est d’ailleurs relayé par des économistes tels que Jean Pisani-Ferry, artisan du programme de Macron en 2017 (c’est dire) : « Si les marchés tiquent, c’est parce qu’on s’endette pour les mauvaises raisons. Si on leur explique qu’on a un projet, dans une période délimitée, qui générera des ressources, les marchés peuvent l’accepter ». Ceux qui encore aujourd’hui pensent que le « problème se situe dans les dépenses » adoptent, consciemment ou non, une position dogmatique.
Dire qu’il faut s’endetter pour la transition ne veut par contre pas dire qu’on peut faire l’impasse sur une analyse rigoureuse des projets dans lesquels on investit. On n’imaginerait pas engloutir – même si l’argent est acquis via un emprunt – des sommes considérables dans des infrastructures qui auraient un résultat peu efficace en terme de diminution des émissions de gaz à effet de serre, ou de report modal (à tout hasard…). Bref, pas question de réduire nos exigences en terme d’efficience.
Enfin, la Commission européenne donne l’impression de n’avoir pas encore compris. Ne pas comprendre que le risque climatique bouleversera toutes nos certitudes du type et certainement des phrases comme « nous devons réduire nos dépenses pour assurer un avenir à nos enfants », c’est résonner à l’envers. Lorsque cette semaine en commission, le Ministre des finances en réponse à une question que je lui posais, explique que la réalisation des objectifs climatiques ne relève pas de la clause dérogatoire (qui permet de déroger aux règles de limitation du déficit pour permettre l’intervention des États durant les crises du Covid et de l’énergie), il a raison. Et c’est bien ça le problème : nous ne mesurons pas encore que le premier risque de la non-soutenabilité de la dette est l’inaction climatique.
Nous avons besoin de cette radicalité. Nous devons concevoir le dérèglement climatique comme un facteur central et transversal à toutes nos politiques publiques : dans la mobilité, dans le logement, dans l’alimentation, dans l’économie, dans la santé, dans l’urbanisme, … pour que Bruxelles avance, résiste et protège ses citoyens face aux effets du dérèglement climatique.
Merci aux Mardi du Le Grand Continent pour l’invitation et particulièrement à Pierre Ramond ! Merci également à Lucas Chancel, Antoine Vauchez, Kalypso Nicolaidis et Aurélie Dianara avec qui j’ai eu le plaisir de débattre et de discuter !