« Nous déplorons le blocage politique qui empêche le moindre débat rationnel sur les questions migratoires, et particulièrement celle des personnes sans-papiers », soulignent Saskia Bricmont, Simon Moutquin et Marie Lecocq, députés écologistes.
A quelques pas de la place Sainte-Catherine, où touristes et habitants se mélangent, l’imposante église du Béguinage et son large parvis dégagent une atmosphère de sérénité. Pourtant, lorsque vous franchissez la porte de l’édifice du XIIIe siècle, le drame qui se vit à l’intérieur contraste avec la quiétude apparente des lieux.
Depuis un mois, des femmes et des hommes sans-papiers font « la grève de la faim ». Lassés de répéter inlassablement la même revendication, celle d’être enfin régularisés, ils et elles ont décidé de ne plus s’alimenter, quitte à mettre leurs vies en danger, comme dans un baroud d’honneur désespéré après des années de combat pour une vie digne.
Vouloir des papiers, c’est vouloir travailler officiellement avec salaire décent et ne plus être exploité par des employeurs peu scrupuleux et des marchands de sommeil. C’est aussi avoir la possibilité d’être protégé : pouvoir porter plainte, avoir recours à la justice, participer à la sécurité sociale et en bénéficier, ouvrir un compte bancaire, se déplacer sans craindre un contrôle, partir une journée à la mer ou simplement conduire paisiblement ses enfants à l’école.
Au contraire, être sans-papiers, sans-droits, c’est s’exposer sans le moindre filet de protection à la dureté de pans entiers de l’économie pour lesquels la main d’oeuvre précaire constitue une aubaine inespérée. Plongeurs dans l’arrière-cuisine d’un restaurant, femmes de chambre dans l’hôtel du coin de la rue, nounous des enfants, ou encore ouvriers du batiment, électriciens, plafonneurs, peintres, les sans-papiers sont à la fois partout mais invisibles.
Déjà soumis à la peur et à l’exploitation, les personnes sans-papiers ont vu leur situation encore empirer avec l’arrivée du COVID-19. Un grand nombre d’entre eux ont perdu leur emploi à cause du confinement. Sans sécurité sociale, ils ont rogné sur leurs économies ou se sont retrouvés à la rue. Sans accès aux soins de santé, ils ont été touchés de plein fouet par la vague de coronavirus qui continuera à les affecter à long terme. Le COVID-19, source de souffrance pour des millions de Belges, a rappelé aux sans-papiers à quel point ils sont invisibles aux yeux d’une société à laquelle ils contribuent pourtant tous les jours.
Au fil des discussions dans l’église du béguinage, ce sont des parcours de vie marqués par les injustices qui se dévoilent. Karim a travaillé dix ans dans une maison de repos, il aimait ce métier et ces personnes dont il lavait les corps tous les jours mais aujourd’hui, il n’a plus de quoi se nourrir faute de pouvoir trouver du travail au noir. Malika raconte avec fierté qu’elle s’est occupée de la maison de dizaines de familles « ils me donnaient tous leurs clefs, ils avaient confiance en moi. Aujourd’hui je dois vivre cachée. Être sans-papiers, c’est une maladie« . Un autre occupant nous explique « J’ai construit une station de métro, engagé en noir par une société sous-traitante de la STIB« . Fourat poursuit ironiquement « Aujourd’hui la station affiche mon portrait pour décorer, pourtant, je n’existe pas pour ce pays ». Au fil des discussions, de matelas en matelas, nous nous rendons compte que ces personnes sont nos voisins, les parents d’élèves de la classe de nos enfants, les personnes qui nettoient nos bureaux, construisent nos villes, réparent nos voitures. Leur accent « brusseleir » a pris le dessus sur celui de l’Atlas, ils maîtrisent le melting pot politique belge mieux que quiconque, ils connaissent notre pays, car c’est le leur depuis des années, voire pour certains depuis des décennies.
Karim, Malika, Fourat,… ils seraient actuellement entre 75.000 et 150.000 sans papiers en Belgique.
Si la raison principale pour nous, à savoir l’humanité que ces personnes méritent, ne devait pas suffire, il y a des raisons économiques et sociales à intégrer les personnes sans-papiers de manière officielle: elles peuvent et veulent contribuer à l’économie officielle et à la construction de notre société. Pour ne citer qu’un seul exemple, des sans-papiers diplomés de médecine ou de soins infirmiers, déjà présents en Belgique, sont prêt.e.s à venir compléter les rangs d’un secteur à bout et légitimement en lutte aujourd’hui pour de meilleures conditions de travail. L’absence de prise en compte de cette possibilité, dans une situation sanitaire sans précédent, est pour le moins interpellante.
Durant nos rencontres, on perçoit une forme de reconnaissance. Une reconnaissance qu’ils souhaitent aussi témoigner vis-à-vis de la Belgique, pays qu’ils aiment et qu’ils construisent au quotidien. Le poids de leurs années de lutte se respire à l’intérieur de l’Église du Béguinage. La grève de la faim est l’ultime signal de détresse envoyé au Secrétaire d’Etat face au mur qui est érigé devant eux depuis tant d’années.
Après des années d’invisibilisation, après 30 jours de grève de la faim, plus de 200 personnes ont décidé de laisser leur corps s’en aller. L’épuisement se lit dans les yeux, le corps de ces femmes et de ces hommes est amaigri. Le retour en arrière n’est pas envisageable. « Si aucune solution n’est trouvée, moi je meurs ici, je ne retourne pas dans la rue. Cela fait 20 ans que je travaille pour ce pays, je suis aussi ce pays ».
Cette scène insoutenable, cette situation nous révolte.
Aujourd’hui, en tant que député.e.s dans nos Assemblées respectives, nous déplorons le blocage politique qui empêche le moindre débat rationnel sur les questions migratoires, et particulièrement celle des personnes sans-papiers. Nous lançons un appel à nos collègues politiques, aux syndicats, au patronat, à la société civile, aux citoyennes et citoyens de ce pays, pour que la Belgique mette un terme à cette absurdité, à cette forme d’hypocrisie qui consiste à exploiter des personnes au profit d’un système qui s’entête à nier leur existence.
Nous lançons un appel au dialogue rationnel, détaché des préjugés et de postures, mais basé sur des faits.
Face à ces drames, nous devons cesser de détourner le regard.
Ces femmes, ces hommes et leurs enfants sont ici, avec nous.
Ils font partie de nos vies, ils sont et font notre pays.
Vous pourrez prendre connaissance de notre carte blanche sur le site du Vif L’Express