L’accord de commerce entre l’Union européenne, la Colombie et le Pérou a été signé en juin 2012, entrant en vigueur provisoirement pour ces pays en 2013. Les négociations initiales étaient entamées avec l’Equateur et la Bolivie qui s’en sont provisoirement retirés, estimant que le cadre posé par l’Union européenne ne leur permettait pas de négocier un accord favorable à leur propre développement.

Traité d’ancienne génération, cet accord se veut exclusivement commercial sans dimension de protection des investissements. Comme ses frères et soeurs, l’objectif de ce traité est de renforcer le commerce entre l’Union Européenne et cette région du monde. En d’autres termes, le traité vise à accroître le volume de biens échangés de part et d’autre de l’océan. Qualifié de « mixte » par les institutions européennes, le texte doit donc être ratifié par l’ensemble des États-membres et, en Belgique, recevoir l’assentiment des entités fédérées. Pourquoi en reparler aujourd’hui? Parce qu’il risque fort d’arriver prochainement à l’agenda bruxellois.

Comme d’autres, ce traité a tout de suite alerté les ONG défenseuses des droits humains et de l’environnement. Pourquoi? Parce que faute de mesures contraignantes en matière de développement durable, de respect des droits humains et d’un cadre réglementaire suffisant sur le plan financier et fiscal, ce traité ne remplira aucune de ses promesses et aggravera une situation déjà tendue. En effet, sans mécanisme contraignant, comment faire respecter les engagements écrits dans l’accord?

Les menaces pour les pays du Sud concernés sont réelles et déjà visibles suite aux rapports effectués en 2019 sur les résultats suite de l’entrée en vigueur provisoire.

Premièrement, comme l’objectif du traité est de parvenir à un renforcement des exportations de matières premières à faible valeur ajoutée (huile de palme, charbon, pétrole, métaux,…) l’augmentation de la déforestation et des extractions « sauvages » est probable. Si l’accord mentionne bien la prise en compte du développement durable, à nouveau, aucune mesure à cet égard n’est contraignante. Le texte impose également une large libéralisation du secteur de l’agriculture et des associations (comme le collectif Landmaatrix) ont d’ailleurs déjà relevé une multiplication d’accaparements de terres dans la région au fur et à mesure que se développait la culture d’huile de palme, tant au Pérou qu’en Colombie.

Toujours à propos de la libéralisation, celle du secteur financier cette fois. Une ONG néerlandaise, SOMO, a démontré que le chapitre sur la réglementation (décrivant cette libéralisation) ouvre la porte à de possibles dérives, surtout s’agissant des pays concernés ; 40 % de la cocaïne importée en Européen est d’origine colombienne, générant des profits immenses. Pourtant, l’Accord ne comprend aucune mesure concrète pour lutter contre le blanchiment d’argent. Et contre l’évasion fiscale, ce n’est pas beaucoup mieux.

Deuxièmement, sur le plan des droits humains, notons que la situation des pays concernés n’a pas la meilleure réputation en la matière. Toutes les associations que nous avons rencontré nous ont alerté sur le renforcement dans les dernières années des violences à l’encontre des militant.e.s écologistes ou en faveur des droits des femmes, des droits humains en général ou encore des droits des personnes LGBTQI+. Si un tel Traité peut justement être l’opportunité d’imposer aux pays le respect de droits fondamentaux, comme ceux des travailleu.ses.rs par exemple, on se retrouve face au même problème que pour le développement durable : toujours pas l’ombre d’un mécanisme contraignant. Pourtant, toutes les références aux droits humains, notamment au respect des normes fondamentales du travail, y sont mentionnées, mais leur violation ne pourra explicitement pas faire l’objet de sanction. Comme Amnesty international le dénonce pourtant  » La situation de la Colombie est particulièrement critique en matière de droits humains. Les attaques contre la population et la société civile augmentent, alors que le nombre de condamnations des responsables reste très faible ».

D’ailleurs, la société civile européenne et péruvienne ont présenté en 2017 une plainte à la Commission européenne contre le Pérou pour violations de l’accord commercial. Les organisations signataires attestent de violations claires de la part de l’État péruvien aux engagements internationaux en matière de travail et d’environnement présents dans l’Accord.

Enfin, d’un point de vue économique, il est à craindre, comme l’histoire récente nous l’a montré, qu’une spécialisation de l’économie vers des produits d’exportation entraine une soumission aux prix des cours internationaux, souvent bien inférieurs au « juste prix ». La balance commerciale du Pérou et de la Colombie a d’ailleurs baissé dans les dernières années. La Colombie a vu sa balance commerciale passer d’un solde fortement positif à un solde négatif. Les exportations auraient baissé de moitié en quatre ans (situation similaire au Pérou mais moins prononcée). Cette dynamique empute les états concernés et leurs populations d’une capacité d’exercer leur souveraineté en terme alimentaire ou énergétique.

Voilà une brève explication des éléments qui nous empêchent de soutenir la signature de ce traité.

Pourtant, le développement de partenariats commerciaux pourrait justement servir d’outil puissant pour promouvoir des normes ambitieuses en matière de développement durable et de droits humains dans les pays concernés… à condition que des balises concrètes y soient prévues et qu’on les fasse respecter. Si non, de tels accords n’ont plus de sens dans le monde aux ressources limitées dans lequel nous vivons. Je pense que la Région a pris conscience des réalités environnementales, au vu de la DPR notamment. Qu’en est-il des objectifs d’économie circulaire, de transition numérique, de réduction des gaz à effets de serre si en même temps nous cautionnons des traités ne respectant aucun de ces objectifs dans d’autres pays? Jusqu’à preuve du contraire nous vivons encore sur la même planète, soyons donc cohérents dans nos politiques.

Pour résumer, il me semble essentiel, à propos de cet accord, de : rendre contraignant le chapitre sur le développement durable, en le soumettant à un mécanisme de sanction et règlement des différends entre Etats ; de renégocier les chapitres liés à la régulation financière ; et d’intégrer dans l’accord une clause de protection des droits humains.

Autrement dit, garantir « un socle commun de normes sociales et environnementales, ainsi qu’une saine concurrence ». Il faut saisir l’opportunité qui se présente à notre Région, aller au-delà d’un accord purement commercial, en tenant compte de tous les autres impacts que le traité pourrait avoir sur les droits des travailleurs, de sa population et de l’environnement.

Mes questions sont les suivantes :

  • Quelles sont les différentes étapes de négociations de ce Traité et leur calendrier ? A quel niveau et quand ?
  • Faites-vous partie, avec vos collègues des autres entités d’un groupe de travail commun qui permet d’envisager des positions communes?
  • Quel est le mandat dont vous disposez aujourd’hui pour prendre position sur ce traité?
  • Quelle est la position de la Région de Bruxelles-Capitale sur une éventuelle ratification de cet accord ?
  • Une analyse des risques des effets sur la Région a-t-elle été opérée ? Par qui, quand ? Idem pour les impacts sur les pays concernés ?
  • Avez-vous pris connaissance de la plainte déposée par associations péruviennes? Comment l’évaluez-vous?

 

Retrouvez mon intervention et la réponse du secrétaire d’état sur le site du Parlement bruxellois